Le hurlement du nom déchire l'espace d'un Hyacinthe cinglant car Marylin n'est plus et ne reviendra pas. Le peu d'amis ou plutôt alliés se permettent l'utilisation de Hya mais rares sont ceux qui l'osent. Cela fait dix-neuf ans que les pieds foulent les airs damnés, répondant au genre masculin qui ne connaît pas l'interdiction des robes, des noeuds et des couleurs des pétales du printemps. Soldat de Atropos et libraire attendri, il passe son temps à flotter dans la librairie, en hommage à Marylin, pour qui nul endroit n'était autant enchanté. Désir porté envers la gente masculine, le corps tremble quand même envers tous et surtout envers aucun, aromantisme découlant de la haine et d'un coeur désormais trahi à jamais. Né parmi les membres de Anké, rien n'est connu de la mère si ce n'est sa grande croyance en la cause et son profond sacrifice. Vagabond et perdu, souffrant de claustrophobie, aucun endroit n'est définitif pour s'y poser.
Bénie par Zéphyrus au coeur meurtri et indiférent, Marylin n'est plus et cède sa place à Hyacinthe mort et retourné à la vie par la même déité. Aussi volatile que le vent même, jamais il ne pose pied au sol et peut s'élever dans les airs à ses désirs.
Anké est l'affiliation, l'emplissant d'espoir et de courage, comme si son sang chantait leur apogée glorieuse, sans cesse et sans repos, dans le désir de répandre le sang de ceux qui ne voient que par le pouvoir et pour le pouvoir. Depuis sa naissance qu'il est parmi les leurs, d'abord l'enfant adorable, ensuite l'enfant perdue et enfin lui, Hyacinthe, ancien enfant trahi et déchu, ancien amant aimé et tué au nom d'une jalousie divine qui n'avait cesse de détruire l'humanité.
Gouvernance des terres remise en doute, désir de l'abolir brûlant dans les veines, comme une haine viscérale, nécessaire, survie basée sur ce flambeau inconstant qui doit être renversé sur le sol arride des croyances stupides. Les autres affiliations sont surprenantes, mais c'est surtout les eskeia qui éveillent le rire moqueur, confiance aveugle en les déités qui seraient bénédiction mais qui sont abomination. Races étrangères qui ne sont guère familières, c'est la prudence mais la curiosité qui se battent, entre l'envie de comprendre et celle de s'enfuir au loin. Dieux haïs, détestés, dieux sans piédestale désormais, divinités cruelles et aveugles, jouant des êtres humains comme s'ils n'étaient rien de plus que propriétés dans les mains sales de sang des titans déesques.
Ô regards posés sur moi, tous autant cruels et froids, préavis et préjugés permanents de ceux qui ne savent regarder qu'avec les yeux. Vos regards ne seront jamais assez perçants ni pour voir mon coeur, ni pour voir mon âme, si seulement pouvais-je prétendre en posséder une après tant de milléssimes enfoncé dans l'obscurité de la mort ancéstrale, dont l'emprise glaciale semble encore m'étreindre. Antithèses émotives se déchiquetant en mon être entier, comme s'il ne s'agissait que d'un vulgaire repas, jamais vous ne saurez de quoi suis-je composé, et seules les apparences que je laisse entrevoir seront votre connaissance de moi, car pourquoi abattre mes défenses si ce n'est que pour être blessé ? Pourquoi laisser la peur m'insuffler ses promesses de lendemain si je m'en sais dépourvu ? Je ne crains ni le coup, ni la blessure, la trahison seule me hantant au travers de cauchemardesques pensées agitées, qui ne jamais ne cessent de me tourmenter.
Celui que vous voyez, que vous croyez voir, n'est autre qu'un subtil subterfuge, illusion insipide, mensonge éhonté. Je ne suis pas l'enfant tendre et candide, aux joues roses et colorées, qui joue avec ses robes dans le vent printannier comme si le lendemain ne connaissait pas d'avenir. Mais qui peut s'attendre à ce que ce visage blond et doux, cette voix haut perchée et ce regard brun comme du caramel, soit le berceau de la cruauté d'un défunt qui n'avait pu profiter de la vie ? Car je ne suis rien de plus qu'un mort-vivant, venu empiéter sur une pauvre vie qui me fut offerte avec tendresse et chaleur. Car Marylin était un ange, l'innocence même et la candeur d'une beauté sans limite, l'image de Héra mêlée à Aphrodite, fidèle et chatoyante comme une peinture dessinée dans les vastes cieux. Mais Marylin était naïve, elle était trop amoureuse de la vie, me cédant la place de bon coeur, comme une chose à faire, comme si c'était normal de succomber. Mais je ne suis pas elle. Je ne suis ni naïf ni confiant. Je suis effrayé, je suis en colère, je suis vengeance et rage de celui qui mourut épanoui.
Me voilà parmi vous, caché de vos ahurissantes pensées, autrefois sensible et sincère, aujourd'hui froid et calculateur. Ne suis-je donc pas ce que vous vous attendriez à voir, à saisir, de celui dont le coeur fut volé par sa naïveté et qui en a payé de sa vie ? Ô aurores boréales qui s'enlisent dans mes pensées, je ne suis qu'un pauvre fou incapable d'être aimé, qui se morfond de cruelles idéologies, colères froides et haine sans fin, pour échapper à la plus dure des réalités, celle que je ne suis plus, celle que je ne suis rien, celle que je suis rien de plus qu'un grain de poussière au fin fond de la toile de l'univers. Mais au final c'est ce que nous sommes tous, insignifiants, abstraits, particules circulant sans but et sans logique dans un cercle de vie infime dont la fin est signée par notre existance inutile.
Cessez vos litanies burlesques qui ne vous mènent à rien, me voilà nu et chair à vif devant vous, soumis à vos lois et vos rois, stupide mythe devenu réalité d'un monde qui n'est propice qu'à la violence et à la guerre. J'oserais hausser le ton pour ceux qui sont tombés, car l'audace m'étreindra toujours de ses bras brûlants de suie, mais je ne me retournerais jamais sur ceux qui se seraient effondrés - il n'y a plus d'empathie en moi, vil destin me l'ayant estropiée, comme s'il n'était plus l'heure de se retourner sur les âmes blessées, mais celle de ne voir que l'avenir glorieux et ambitieux de la victoire éternelle. Pourtant, je ne suis pas aveuglé, je suis conscient que cette réussite sera critique - une fois que le roi s'échouera, les pièces seront éparpillées, et la partie terminée signera une fin fatale - à moins d'en commencer une nouvelle, sur de nouvelles lois qui jamais ne connaîtront justice, sur de nouveaux sols qui jamais ne se stabiliserons. C'est bien la malédiction de l'être que nous sommes, égoïste, qui ne sait pas s'arrêter de conquérir et qui crèvera de sa propre main, accroché à de vulgaires pièces de métal qui n'auront jamais fait son réel bonheur.
Orages et tempêtes s'étendant à l'infini, journées pleines de soleil, Hélios à son poste, nuits ténébreuses veillées de Artémis, ses flèches d'argent déchirant le ciel d'arcs sublimes. Nature impénetrée, impénétrable, innocente et pure, dangereuse et mortelle, celle que l'on n'osait jamais déranger, celle qui était l'histoire racontée aux enfants qui n'obéissaient pas. Créatures, bêtes féroces devrais-je dire, peuplant un monde aux milles couleurs et milles étincelles enchanteresses et envoûtantes. Voilà le monde, tel que je m'en souviens, tel que je le repeins sur la toile de mes paupières lorsque celles-ci s'écrasent de fatigue.
Il n'y avait pas de bien, pas de mal. Les deux étaient indistinguables, intrinsèquement liés, lumière enveloppée d'un voile obscur créant une multitude de teintes que seul ce mélange là pouvait obtenir.
Je me souviens de la tendresse des tissus soyeux, fins, légers, de l'allégresse de l'alcool teintant les Dionysies folles, où tout chacun faisait partie d'un tableau plus grand, plus amer, plus profond et pourtant plus beau.
Je me souviens que je l'avais rencontré lors des festivités, croyant à une hallucination. Il n'était pas à sa place, pas ces jours là, alors je me suis tut, j'ai prétendu ne pas le voir, car quoi de plus anormal que de voir Apollon le jour de fête de Dionysos ?
Il était beau, il était splendide, il était venu chercher mon coeur de ses mains tendres et sans failles, il m'avait parlé ce soir là, et les soirs suivants, il m'avait séduit et m'avait cueilli mon âme comme si elle n'attendait que ça. Ô que j'ai aimé le grand Apollon, aux cheveux tels le soleil et au regard aussi brillant que son ichor divin. J'avais été choisi, choyé, apaisé, il m'accompagnait partout où j'allais, à l'abri des regards et parfois en pleine journée. La plèbe savait, la plèbe parlait, on me disait béni, on me disait maudit. Car ceux que les dieux aiment, meurent jeunes, n'est-ce pas ?
J'étais tout à lui, conscient qu'il ne serait jamais qu'à moi, mais la compersion n'avait pas de limites et son bonheur était le mien, tendre, suffisant. J'étais heureux, simple que j'étais à cette époque, dans une réalité où le sourire était à portée de main et ne pas le trouver était signe d'une détresse trop grande pour être vécue. Alors j'ai joui de ces instants, de cet amour absolu, adoration d'une déité donc le regard a daigné se poser sur moi. J'ai cédé à ses paroles, à ses mains et à ses lèvres comme se ploie un roseau sous le vent incessant sans jamais se briser. Mais le vent lui, a fini par me déraciner.
Il faisait si beau ce jour là, si chaleureux, comme si les Parques savaient déjà et avaient pitié de moi. Nous jouions, comme tant d'autres fois, sans chercher à compter les points, sans chercher à déterminer le roi, nous jouions par plaisir de partager le temps, de partager la saveur de l'été qui venait à sa fin. Je me souviens cependant, l'instant d'émoi où les yeux d'Appolon s'écarquillèrent d'effroi, alors qu'une silhouette toute autre se dessinait non loin de là, étrangère mais pourtant connue, méconnaissable mais familière. Et je sus en cet instant que cette ombre avait toujours guetté mes pas, bien que je ne savais guère qui était-ce et ce qu'il faisait là. Mais il était trop tard pour toute pensée cohérente, trop tard pour se défendre, trop tard pour exister ou espérer. Le choc fut brusque mais guère douloureux, et c'est rapidement que l'obscurité m'envahit, mère nourricière tendre m'emportant dans la nuit.
L'éternité était longue mais pas aveugle, elle était silencieuse mais pleine de souvenirs, et je m'adonnais à les maintenir, à les rappeler, refusant de ne devenir qu'une autre ombre silencieuse parmi tant d'autres échouées. Et j'ai compris, ce qui c'était passé, comment était-ce arrivé, par toutes ces muettes voix dont les yeux éclairaient les enfers gardés de Cerbère, illuminant l'obscurité de leurs souvenirs éphémères qui jamais ne leur revenaient. J'en ai perdu moi-même des souvenirs, le visage de mes parents, de tous ces gens d'antan. Mais l'espoir de me venger, de revenir et de blâmer était plus fort, besoin irrésistible qui me taraudait, parmi d'autres, à ne pas m'effacer, à ne pas devenir une pâle figure parmi tant d'autres oubliés.
Et un jour je me réveillais, comme si je n'étais jamais parti, conscient mais cloisonné, ma voix n'étant rien de plus qu'un murmure frôlant des pensées inconnues. Et je compris, bien plus tard, que j'étais réincarné, mais jamais reconstitué. Alors je compris, alors je parlais, et Marylin écoutait, douce enfant née un soir d'été, Marylin me succombait et un jour elle m'offrit sa place, elle qui ne voulait pas me blesser ni m'emprisonner. Et Marylin disparut, sa voix faiblissant de jour en jour, me laissant conscient d'être criminel, d'avoir été forcé par les dieux de mourir mais aussi de tuer.
C'est à eux que je m'en prendrais désormais.